Jeudi 4 - Le départ - Anvers
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Ça y est, l’heure du grand départ a sonné. Comme à mon habitude, j’ai attrapé le train au vol. J’ai toujours du mal à anticiper le temps que me prennent les derniers préparatifs, terminer son sac, tenter de ne rien oublier, etc. C’est donc à 12 h 50 que j’arrive à la gare du Nord pour un départ à 55.
C’est la première fois que je prends le Thalys, un TGV sur le modèle de tous les autres, à la livrée rouge bordeaux et gris perle. À ma surprise, on se voit servir un plateau repas comme dans l’avion. Contrairement à Air Canada, ici, tout est bon, juste servi un peu trop froid. M’étant sustenté, je digère en terminant mon cabernet-sauvignon du Pays d’Oc (il y avait le choix avec un shiraz-cabernet australien). Je contemple les plats paysages qui défilent à plus de 250 km/h. Canaux, terres nues, tas de betteraves, lignes à haute-tension, autoroutes, clochers, villages de briques, vaches, moutons, fermes, bosquets, alignements de peupliers… Le ciel est gris et morne, brumeux. Je n’ai pas le courage de lire le Libération qui titre “L’empire empire”. Démoralisant.
Je me demande si l’on a passé la frontière. Comment savoir ? Essayer de repérer un indice, comme la plaque d’immatriculation d’une voiture passant sur une route. Nous croisons des trains que je ne reconnais pas. Oui, nous sommes bien en Belgique.
- Jambon aux herbes, Bressaola et pommes de terre.
- Émincé de volaille, bavarois de brocolis, fondue de poireaux.
- Poire au miel et gingembre.
- Bon appétit !
- Smakelijk!
14 h 20. Arrivée à Bruxelles-Midi (Brussel-Zuid). Au loin, la masse insensée du Palais de Justice qui domine la ville. Un cheminot regarde un couple de pigeons forniquant, il semble sidéré par la scène.
15 h 05. Antwerp-Berchem. Je m’arrête dans un bar, une Jupiler, puis je prends un taxi pour le Nordzee Terminal, #913. Au contrôle d’entrée de la zone portuaire, une surprise : j’apprends que le bateau n’est pas là, alors qu’il devait arriver à 6 heures ce matin. On l’attend pour les 18 heures. Il ne me reste plus qu’à prendre mon mal en patience. Je regarde l’impressionnant ballet des portiques. Le port d’Anvers semble gigantesque, très étendu. Un crachin s’installe alors que le jour décline. Je m’habitue aux sirènes incessantes des engins de levage.
17 h 00. J’ai une overdose de conteneurs. J’espère que le Tage ne va pas trop tarder…
18 h 35. Toujours à attendre. Le shipchandler est arrivé. Il attend lui aussi.
18 h 50. Une masse se profile dans la nuit. Il arrive enfin.
19 h 20. À peine amarré, le ballets des conteneurs commence. Le vent s’est levé, il fait plutôt froid.
19 h 50. J’embarque. C’est la frénésie partout, des gens vont et viennent, on ne sait qui est du bord. L’avitaillement capitalise l’attention. Personne ne semble faire attention à moi, n’y même s’inquiéter de ma présence. J’ai l’intuition de monter à la passerelle. J’emprunte une coursive, trouve la descente principale du château. Je monte. Pont 2, personne, pont 3, un panneau m’informe que les cabines passagers sont là. Je pose mon gros sac dans un coin et je continue mon exploration dans ces couloirs silencieux, si ce n’est le bruit étouffé du chargement des conteneurs à l’extérieur. Je tombe enfin sur un steward qui sort de l’ascenseur, en bleu de travail et bonnet. Ça tombe bien, c’est justement celui chargé de ma personne. Il s’appelle Gika et m’invite à prendre l’ascenseur avec lui pour monter tout en haut. Il est roumain et ne parle qu’anglais, mal. Il m’apprend aussi que la totalité de l’équipage est roumain. À la passerelle, il y a plein de monde, l’ambiance semble fébrile et survoltée. Le second commandant se présente à moi, il parle français, plutôt bien. Il s’excuse et m’explique qu’ils sont en retard, que l’escale est courte et que c’est, selon ses termes, vraiment le bordel ce soir. Je remets mon passeport et mon billet. Le Second s’excuse encore de m’accueillir dans ces conditions, mais je lui dis que ce n’est pas bien grave et je prends congé pour ne pas lui faire perdre plus de temps. Gika me guide jusqu’à ma cabine. C’est un peu vieillot, mais propre. Il y a une combinaison de survie amarrée dans un coin, ce qui est rassurant… Je trouve sur le lit deux serviettes de toilette et trois petits savons. Le steward me montre ensuite le carré au même pont, puis la salle à manger au pont inférieur. Il y a un petit buffet froid, manifestement improvisé. Saucisses grises, maquereaux, un genre de terrine de légumes, fromages, frites froides, tout cela n’est guère appétissant. Je lui demande un café. Au moins, le café est bon. Gika s’en va, le travail l’appelle ailleurs. Après avoir mangé un tout petit peu, pas très faim de toutes façons, je rejoins “mes appartements”.
22 h 10. Je suis crevé. La journée a été longue. Je prends quelques minutes au “salon passagers” pour écrire ces lignes.