Mardi 9 - En mer
Index
⇐ Lundi 8 - En mer | Mercredi 10 - En mer ⇒
7 h 20. Temps gris, nuages bas. Mer agitée. Le bateau tangue un peu.
10 h 00. La mer se creuse. Les nuages se déchirent pour laisser apparaître un peu de bleu.
Pfff. J’ai frôlé le surmenage ce matin. Visite des machines, gigantesques, complexes, je n’ai ni tout compris, ni tout retenu des explications du chef mécanicien, si ce n’est qu’il y a 9 cylindres. Plein de photos de filles à poil partout dans les ateliers. Ensuite, démonstration de la fameuse combinaison du commandant Rigolet. Par chance, je n’ai pas eu à l’essayer (ma dernière expérience sur le Belem m’avait laissé trempé de sueur et le sentiment d’avoir été un pingouin ridicule pendant 10 minutes). À la timonerie, le lieutenant à l’air sévère m’a offert un thé.
Nous faisons route au 263, nous sortons de la Manche. Vers 10 heures, nous sommes passés à environ 45 milles au sud des Scilly. Vitesse : 17,8 noeuds. À 10 h 35, 49° 07’ 12” N / 6° 45’ 25” W. Il y a une vieille centrale météo, je ne sais pas si elle est encore très fiable. En tout cas, elle indique : air, 12° C, mer, 13,5° C.
Ah, un détail technique qui me revient de ma visite dans les bas fonds : les glaces du Saint-Laurent risquant de boucher l’entrée d’eau de refroidissement, le système vient d’être modifié, l’eau est désormais prise dans un ballast et y est ré-injectée ensuite.
12 h 00. Soleil et ciel bleu. La mer moutonne. Splendide.
Ce matin, 3 norvégiens qui se font de grosses tartines de pâté avec de la confiture par dessus, ça ne met pas en appétit.
13 h 45. Il y a maintenant un bon coup de vent. Mais nous n’en sentons pas trop les effets à bord, si ce n’est que la bateau gîte un peu sous l’effet du vent. Il faut sortir dehors pour se rendre compte de la force d’Éole.
14 h 40. Il y a de belles vagues qui déferlent. Le Tage commence à être un peu secoué en tous sens. Il est temps de faire ma sieste.
16 h 00. Hmmm. Je crois que l’on peut parler de mer forte. Ça souffle bien. Je suis sorti, et j’en suis revenu dépoussiéré comme on dit…
Il faudrait maintenait une bonne pluie parce que mes sabords sont blancs de sel et je n’y vois plus bien dehors.
15 h 25. Croisé bateau de pêche d’une trentaine de mètres. Ça commence à mollir.
Ainsi, l’expérience montre toujours que chaque fois qu’il existe une institution nationale employant un grand nombre de bureaucrates, le peuple doit se résigner à supporter bien des incapables; le favoritisme et le népotisme qui règnent toujours dans le voisinage de ces établissements sont si développés que l’on choisit toujours des incompétents, de préférence à des personnes de valeur…
Herman Melville, La vareuse blanche.
19 h 00. Je me pointe à la salle à manger. Et j’apprends que, justement, il n’est pas 19 heures, mais 18 heures, nous avons encore changé d’heure et je n’en avais pas été informé. Zut, j’avais faim!
Sous l’effet de la lame, le navire est parfois pris de violents rappels latéraux, comme des hoquets puissants qui ébranlent toutes ses membrures. La fraction de seconde suivant le choc semble s’étirer en longueur alors que la coque est comme en suspension et le mouvement arrêté. Puis, une fois retombé, le navire poursuit sa route placide.
C’est si brutal et soudain que la première fois, j’ai vraiment cru que nous avions heurté quelque obstacle, et je m’attendais à tout moment au déclenchement d’une alarme. Mais rien de la sorte, fort heureusement. J’ai vite compris qu’il devait s’agir d’une vague plus puissante que les autres qui, nous prenant par le travers et sous une incidence appropriée, nous faisait un bref instant dérailler de notre route.
Au port, au vu de ces navires aux dimensions de cathédrales, le terrien pourrait imaginer que ces lourdes nefs ne sont pas affectées par le déchaînement des éléments et qu’elles font route bien droites dans leurs lignes. Je peux vous dire qu’il n’en est rien. Ça bouge, et parfois de façon impromptue et inopinée.
21 h 30. Ces norvégiens sont vraiment des gens bizarres. Ils mettent du sucre sur leurs macaronis au fromage et du sel sur leurs pamplemousses. Et voilà qu’ils communiquent en hébreu (prétendent-ils) avec les hollandais muets. Sont-ce des agents du Mossad ? Sont-ils chargé de la protection d’une mystérieuse cargaison ? Car, soyons clairs, ces gens ne sont pas des touristes. Un des hollandais me fait l’effet d’un tueur. Je me perd en conjectures.
21 h 40. Horreur et damnation : les conteneurs poussent des plaintes métalliques au gré du roulis. Vos gueules ! Je veux dormir.