Suspiro del Moro

[Un jour vous passerez par Grenade, et vous y entrerez amoureux fou, cultivé [ou touriste] ou alors sans qualité. Voyageur d’agrément, d’étude, en mission, égaré mais rarement perdu, vous ne vous méfierez pas, inquiet à l’heure méridienne de constater que vous êtes seul dans la ville écrasée de chaleur, nappée de plomb fondu, incapable de comprendre où commence le plaisir et où s’arrête votre trouble. Vous croirez à la torpeur, vous sentirez le raffinement des détails, qu’un peuple jouit ici de l’ombre et d’un secret repos, portes closes, persiennes et rideaux de perles filtrant l’air et la lumière.
Dans cette ville qui n’a pas de sens, où tout se cache et se découvre parfois, rien ne vous guette, ni personne. Les murs tremblent de chaleur et vous même tremblez, le malaise aux tempes.]

[L’absence vous pèsera et vous chercherez l’horizon]

[Au pays du silence]

Un jour vous passerez par Grenade, et vous y entrerez amoureux fou, simple égaré, sans qualité aucune. Vous serez voyageur d’agrément, d’étude, peut être en mission exploratoire, adonné au périple incessant. Seul, vous croyant accompagné, vous viendrez en passant, bien décidé à rester si le cœur vous en dit.

Dès l’aube, la ville vous aura cédé ses charmes de fruit éclaté par la maturité, d’ocre et de vert mêlé. Vous aurez parcouru les rues d’un pas paisible, touché d’une main la pierre des façades mouillée d’ombre par la nuit et compris [du bout des doigts] à la peau que des matières se sont parlé, ce matin.
[Traversé des jardins auxquels on vient de jeter l’eau pour les rafraîchir]
[Frissonnant au bruit des fontaines où vous lancez les pièces qui gagent les vœux]
[acheté un journal, goutté le calme des cafés et des conversations.]

Vous croiserez des visages et autant de regards qu’il y a de désirs : calmes, [doux] lourds, brûlants.
Vous aimerez les gestes, le mikado subtil des doigts entrecroisés, les épaules nues [à l’ambre profond] qu’une mouche ponctue, une lèvre de sang à la pulpe rieuse.
Des rires auront sonné sans pudeur et sans retenue.

[Quand vous quitterez Grenade, rappelez vous l’histoire de Boabdil, dernier émir de la ville, comme un guide en visite vous l’a contée dans le palais où vous étiez.]

[Vous atteindrez la mer, vous rejoindrez la nuit.]
Songez que vous vouliez atteindre la mer et que vous rejoignez la nuit.
Au moment d’embarquer, pensez à lui.
Qu’il n’y aura pas de retour : vous ne reviendrez pas.
Comme Boabdil, il vous faudra embarquer.
Pensez alors à lui. Pensez à moi, son frère.
Pensez à vous.

[Un grain de mica brillant figurera le silence]