Les délaissés du Loch Striven
La crise mondiale touche durement l’industrie du transport maritime. La compagnie danoise Mærsk stocke des navires devenus non rentables dans un loch en Écosse.
La vivante Glasgow n’est qu’à 50 km à vol d’oiseau, mais ici ne règnent que les bruits du vent et du léger clapot.
Ils sont là, réunis à cinq, ancrés et amarrés à couple, tête-bêche… Colosses immobiles, alanguis, proches de l’engourdissement, sur les eaux grises du Loch Striven, Sroigheann dit-on en gaélique, une échancrure orientée nord-sud, longue de 8 milles, pénétrant dans la péninsule de Còmhghall, juste au nord de l’île de Bute. Un lieu à la beauté poignante dans la partie la plus mouillée de l’Écosse, autant dire que le soleil y est rare.
Ces merveilles d’ingénierie et de mécanique luttent donc contre l’ennui et la rouille, ils sont les victimes de la course folle du transport maritime, du prix du pétrole et de la crise mondiale. Ces sister-ships sont presque neufs, construits en Allemagne pour un prix unitaire avoisinant les 50 millions de dollars. Et ils ne servent à rien, ce sont des capitaux flottants totalement immobilisés.
Dans l’économie du commerce, le flux tendu est devenu la norme, tendre vers le zéro stock et se reposer sur une logistique de plus en plus pointue. L’essentiel des biens de consommation courante est fabriqué en Chine. Qu’à cela ne tienne, il suffit de raccourcir les délais de transport au maximum pour répondre en temps réel aux fluctuations de la demande des consommateurs, d’Amérique du Nord et d’Europe. Rapprocher dans le temps les ateliers chinois des portes du Walmart, puisqu’on ne peut pas jouer sur la variable espace.
Ces navires ont donc été construits pour la rapidité, 30 nœuds en vitesse d’exploitation, 36 nœuds en poussant les machines, pour répondre aux besoins de l’économie qui tourne de plus en plus vite. Mærsk Line comptait écraser la concurrence avec cette série de sept navires, baptisée Classe B.
Mais, revers de la médaille, ils consomment beaucoup, beaucoup trop de carburant, 300 tonnes de fuel par jour, autant que les super-porte-conteneurs qui peuvent transporter trois fois plus. Dans des temps plus fastes, cela ne posait pas de problème. Tout le monde dans le transport chantait alors joyeusement “Containerization” sur l’air du “Specialization” de Marylin Monroe. Avant de se trouver fort dépourvu quand la bise baptisée crise est venue.
Car, hélas pour leur propriétaire, les données ont radicalement changé depuis la mise en chantier, le pétrole a augmenté et le commerce mondial s’est fortement ralenti, le trafic conteneurs connaît une crise sans précédent, des géants comme la CMA-CGM sont mis à genoux. L’équation de fonctionnement n’est plus bénéficiaire et la demande n’est plus là. À peine livrés, les navires étaient obsolètes.
La compagnie danoise Møller-Mærsk espère que cette situation est temporaire, un an tout au plus. En attendant, elle a pris la décision de stocker ces unités dans un endroit abrité. À l’abri des menaces de la mer comme des regards de commisération, et surtout préservé des taxes portuaires : un loch désolé et romantique, sur la côte ouest de l’Écosse, un havre qui avait déjà servi à stocker des tankers lors du premier choc pétrolier, en 1973.
Voilà comment se sont retrouvés là ces frères d’infortune, mis au frigo à partir de juin dernier, par 55° 55’ 59.38” N - 5° 4’ 8.05” W, les Baltimore, Beaumont, Bentonville, Boston, Brooklyn, rejoints par un vieux tocard à coque noire, le Sealand Performance…
Hier, loués comme les plus rapides au monde, aujourd’hui au bord de l’oubli. Il n’est même pas certain qu’ils retrouvent un jour leur rôle sur les routes maritimes. On étudie déjà la possibilité de les modifier, de les charcuter, et même, de les démolir.
Les analystes sont quasi unanimes, l’avenir est à la lenteur. Rien ne sert plus à courir pour les lévriers des mers, car à l’arrivée, c’est la tortue économe et bonasse se hâtant avec lenteur qui l’emporte.
Il y a les hommes qui subissent aussi les temps présents, le travail n’est plus là. Ils ne sont que dix, mosaïque de peuples, pour veiller sur la petite flotte immobile, à faire le ménage, à peindre ce qui rouille, à contrôler ancrage et amarrage, à vivre à bord loin de tout… Alors qu’ils devraient être au moins dix fois plus s’ils naviguaient.
Les vieux du coin racontent l’histoire de deux superpétroliers qui ont croupi vingt ans dans le loch Striven. Il a eu aussi les LNG Nestor et Gastor et bien d’autres, Mobil Astral, Mobil Daylight… rien pour rassurer nos géants contemporains. Les gens de Còmhghall commencent à s’inquiéter, ils regimbent, on murmure que les envahisseurs seraient bientôt au nombre de vingt et plus. Ils ont commencé à alerter la presse, à communiquer leur désagrément de cette situation imposée, à se plaindre de la pollution visuelle et sonore. Acculée, la compagnie Mærsk a organisé une conférence de presse à bord en février, pour amadouer la petite population locale. Et ça a plutôt bien fonctionné.
Et les reclus de Loch Striven, désormais sous les feux de la rampe, ont trouvé une vocation temporaire, ils servent de décors naturels pour une série de science-fiction pour enfants tournée par BBC Scotland, Mission 2110. Les frais de location seront reversés par la Mærsk à des œuvres de charité choisies par la communauté des gens du loch.
En attendant des jours meilleurs. Un marin roumain prend une pause, regarde les rares maisons perdues sur la rive, si proches et si lointaines, deux réalités étrangères qui coexistent dans un même paysage. Pour combien de temps, personne ne le sait.
Une habitante observe : “Ils disent que la récession est terminée, je le croirai quand ces bateaux seront partis”.
Flotte Mærsk à Loch Striven.
Maersk B-class
Mærsk Boston | |
Type | Porte-conteneurs Container ship |
Pavillon Flag |
Royaume-Uni United Kingdom |
IMO | 9313905 |
Longueur hors tout Length overall |
293,83 m |
Maître-bau Beam |
32,18 m |
Tirant d’eau max. Draught |
12,2 m |
Jauge brute Gross tonnage GT |
48 853 |
Jauge nette Net tonnage NT |
16 832 |
Port en lourd TPL Deadweight tonnage DWT |
53 634 t |
Capacité EVP Capacity TEU |
4 174 |
Propulsion Engine |
Doosan 12RT-FLEX 96C 68640 kW |
Vitesse (nœuds) Speed (knots) |
30 |
Ancien(s) nom(s) Ex name(s) |
- |
Chantier Shipyard |
Volkswerft Stralsund GmbH, Allemagne |
Lancement Launching |
2006 |
Sister-ships
- 2006 - Maersk Baltimore 9313917
- 2007 - Maersk Beaumont 9313967
- 2006 - Maersk Bentonville 9313929
- 2007 - Maersk Brooklyn 9313931
- 2007 - Maersk Brownsville 9313955
- 2007 - Maersk Buffalo 9313943